PME et Innovation : quelles incitations ? Quel accompagnement ?

Par Emmanuel Frémiot

DISCOURS DU 16 AVRIL 2008 POUR LE CONSEIL NATIONAL DES ECONOMIES REGIONALES

 

Messieurs les Ministres, Mesdames et Messieurs,

Je voudrais tout d’abord remercier le CNER et son PrĂ©sident Adrien Zeller de son invitation, Ă  laquelle je suis très sensible, considĂ©rant comme vous, que l’observation des systèmes Ă©conomiques, depuis une vingtaine d’annĂ©es, montre clairement :

  1. Le caractère stratégique de l’innovation dans la compétitivité des entreprises et la croissance des nations.
  2. Le rôle moteur des PME innovantes, parmi les acteurs de cette dynamique. Toutes les analyses font, en effet, apparaître que ce sont elles qui tirent la croissance.

Cette analyse désormais acceptée par tous les chercheurs et tous les politiques n’est pas sans poser de redoutables interrogations à notre pays.

En effet, le diagnostic concernant la France est aujourd’hui unanime : elle souffre d’un déficit d’entreprises innovantes (petites et moyennes) susceptibles de renouveler le tissu économique :

Pour la situation européenne : le rapport de Futuris de 2005 présidé par Monsieur Worms qui établit des propositions pour favoriser le développement des entreprises innovantes, montre que 6 des 25 plus grandes entreprises américaines sont nées après 1960, ce qui n’est le cas que pour 1 des 25 plus grandes entreprises européennes.
Au niveau national : même si la France a fait des progrès en matière de création d’entreprises, il s’est créé 240 000 entreprises chaque année en 2005 et 2006, on estime à seulement 4% (voire 2,5% selon le dernier tableau de bord de l’innovation) celles réellement innovantes. Ce constat est d’autant plus alarmant que depuis 1967, date à laquelle à été créée l’Agence Nationale de la Valorisation (ANVAR), toutes une série de mesures et de dispositifs organisationnels, financiers, fiscaux et institutionnels ont été proposés par l’Etat ainsi qu’au niveau régional par les acteurs des territoires, notamment les collectivités locales en vue de favoriser, de faciliter et d’accélérer les processus de transferts technologiques vers les PME et de création d’entreprises technologiquement innovantes.

Trois sources d’explication peuvent éclairer cette situation :

  • La première repose sur la singularitĂ© et la spĂ©cificitĂ© de ces entreprises. Pour rappel, on peut recenser au moins 2 catĂ©gories de PME innovantes, celles qui par utilisation des nouvelles technologies font de l’innovation incrĂ©mentale pour amĂ©liorer leur productivitĂ© ou la qualitĂ© de leur produit/service et celles (qui nous intĂ©ressent ici) qui sont Ă  la source d’innovation de rupture et qui sont donc dĂ©pendantes de nouveaux savoirs le plus souvent issus de la recherche. Ce sont elles qui permettent d’avoir des leaderships mondiaux dans des domaines tels que la Bio, les TIC au sens large, les matĂ©riaux. FocalisĂ©es sur la recherche d’une innovation fondĂ©e sur un savoir scientifique ou technologique, donc d’un actif fortement spĂ©cifique, ces entreprises ont gĂ©nĂ©ralement d’énormes difficultĂ©s Ă  trouver des ressources complĂ©mentaires pour concrĂ©tiser et finaliser leur innovation et trouver un marchĂ© :
    1. Problème de financement dû au risque technologique mais aussi au risque de marché que leur caractère original engendre et qui leur coupe l’accès au système de capital-risque institutionnel.
    2. Manque d’actifs humains complémentaires par rapport à l’équipe scientifique engendrant des problèmes de management
  • La deuxième explication tiendrait Ă  l’inertie de notre système national dans les relations entre la science et l’industrie et Ă  son caractère non rĂ©ceptif Ă  l’égard des chercheurs et des innovateurs. Les rapports d’Henri Guillaume de 1999 et 2007 sur la valorisation de la recherche, constatant les faibles performances de l’industrie française dans de nombreux secteurs technologiques, les expliquent par une structure Ă©conomique dominĂ©e par des branches industrielles Ă  faible intensitĂ© de R&D et par la faiblesse des liens entre la science et l’industrie, ce qui se traduit par une recherche technologique peu importante.
  • Enfin, la troisième explication serait le manque d’intĂ©rĂŞt des entreprises Ă  recruter plus massivement les docteurs en science et les chercheurs issus des universitĂ©s, ce qui encouragerait ces derniers Ă  migrer vers des territoires plus attractifs, cultivant plus efficacement les ressources cognitives et leur fournissant des actifs et un environnement mieux adaptĂ©e Ă  leurs besoins spĂ©cifiques d’entreprises fortement innovantes.

Face à cette situation, que peut-on attendre de l’Etat, des collectivités locales et des structures d’appui pour remédier à ces conditions particulièrement défavorables à l’émergence et au développement de ce type de PME ?

  1. Favoriser un environnement innovateur c’est-à-dire capable d’impulser et d’accélérer la dynamique de la triple hélice qui dépend des synergies entre trois grands types d’acteurs.

En effet, comme vous le savez, la triple hĂ©lice part du principe que la crĂ©ation d’un environnement innovateur s’effectue dans un contexte nĂ© de l’interaction de trois sphères diffĂ©rentes : acadĂ©mique et scientifique, politique et industrielle. Cet environnement rassemble autour de projets communs, et parfois en un mĂŞme lieu, des scientifiques, des industriels, des reprĂ©sentants des institutions publiques et des financiers leur permettant d’engager un dialogue Ă©conomiquement et scientifiquement productif. Les chercheurs y trouvent par exemple les compĂ©tences leur permettant de traduire de façon efficace une avancĂ©e technologique en une innovation technologique, puis de participer concrètement au transfert de technologie en prenant connaissance des demandes Ă©conomiques. L’industriel peut quant Ă  lui suivre l’évolution des travaux scientifiques. Les politiques disposent d’un levier d’action Ă©conomique leur permettant de participer Ă  la rĂ©gulation du dĂ©veloppement Ă©conomique. Enfin, les financiers peuvent dans cet espace y trouver des opportunitĂ©s d’investissement ou suivre plus aisĂ©ment l’utilisation de leur investissement.

A cet égard l’exemple le plus parlant sont les incubateurs scientifiques publics qui sont devenus au fil du temps des organisations tripartites et qui ont su d’une part, réduire le gaspillage de la recherche scientifique en créant de nouvelles entreprises innovantes et d’autre part, créer de nouveaux espaces de production et d’échanges issus de l’hybridation entre les activités scientifiques, techniques, industrielles et financières. Ces nouveaux espaces cognitifs favorisant la production et l’échange de savoirs sur-mesure ont permis en moins de 6 ans la création de 1 050 entreprises technologiquement innovantes dont 80% ont survécu au bout de 5 années d’existence, et 4 198 nouveaux emplois de haute qualification sans compter ceux indirects.

Néanmoins l’efficacité d’une telle organisation innovante nécessite l’activation et le développement de structures d’intermédiation, notamment informationnelle et cognitive, en favorisant les fonctions d’expertises, de courtiers en science et les services aux entreprises intensifs en savoirs.

  1. Au-delà de l’activation d’une intermédiation financière adaptée aux PME innovatrices, encourager le développement d’autres types d’intermédiation, notamment informationnelle et cognitive en favorisant les fonctions d’expertises, de courtiers en science et les services aux entreprises intensifs en savoirs comme facilitateurs des relations Science / Industrie / Puissance publique

Vous l’aurez compris : ce nouveau modèle de co-construction de ressources cognitives et matérielles requiert l’émergence de nouvelles activités et de nouveaux métiers liés à l’innovation, en particulier les « courtiers de savoirs ». C’est un deuxième effet positif sur l’emploi à côté des emplois créés directement par les PME en question.
En effet, sur le plan scientifique, technologique et économique, il faut des intermédiaires pour fluidifier et multiplier les interactions entre les acteurs de la science, de l’industrie et de la puissance publique et améliorer l’exploitation des capacités scientifiques dans le monde industriel, en organisant les ressources échangées et en faisant converger les logiques et les intérêts Science/Industrie/Puissance publique vers des projets à forte croissance économique. On retrouve par exemples, les experts en propriété intellectuelle, les experts en capital-risque, les experts technologique et scientifique dans les incubateurs ou les experts auprès des collectivités locales. Ces intermédiaires s’inscrivent dans une logique de « traduction » des divers langages et de « passeurs de frontières entre les mondes de la science, de l’industrie de la finance et de l’administration qui apparaissent de plus en plus difficiles à franchir à la suite

  • d’une accĂ©lĂ©ration du changement technique,
  • d’une extension et d’une accĂ©lĂ©ration des schĂ©mas de collaboration avec les centres de production de connaissances.

C’est le cas aux Etats-Unis de l’association CONNECT dans le secteur biotechnologique qui propose aux chercheurs un ensemble de ressources et conseils nécessaires à la transformation de leurs technologies émergentes en entreprises innovantes et durablement compétitives. Comme l’a souligné Madame Blondel, membre de l’Académie des technologies, lors d’un colloque de l’Association Nationale des Docteurs en Sciences en 2006, ces intermédiaires « très particuliers connaissent une forte croissance de l’emploi : +45% entre 1995 et 2000 aux Etats-Unis » et constituent un secteur à la pointe des emplois « qui tire l’ensemble de l’économie américaine ». Ces services d’expertise apparaissent être une des conditions majeures pour faciliter le transfert technologie vers les PME et la création d’entreprises technologiquement innovantes et constituent un vivier d’emplois pour les scientifiques.

Il apparaît donc que l’une des conditions de succès des politiques locales de développement économique, et plus particulièrement du développement des PME innovantes, passe par leur capacité à favoriser l’enclenchement d’une spirale vertueuse à partir des complémentarités, des coopérations et des synergies entre les firmes et les institutions présentent sur un même territoire. Elles doivent également favoriser l’émergence de services d’expertise ou de courtiers en connaissance puisque la présence de ces derniers entraîne des effets d’agglomération permettant de stabiliser les décisions d’implantation des PME innovantes, des complémentarités territoriales susceptibles de créer de nouvelles entreprises, de nouveaux gisements d’emplois pour les scientifiques et plus généralement pour toutes les qualifications.

Pour conclure, en favorisant un environnement apprenant et innovateur et le développement de services d’expertise aux entreprises innovantes, l’Etat, les collectivités locales et les structures d’appui permettraient alors d’accélérer les processus de transfert technologique et de création d’entreprise innovante ainsi que de réduire les processus de délocalisation et de fuite des cerveaux que subit la France depuis quelques années.

Je vous remercie pour votre attention

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