Les docteurs en sciences à la rescousse de la compétitivité française

Par Emmanuel FREMIOT

En France, a-t-on réellement besoin de docteurs en sciences ?

Cette question provocatrice souligne le manque de réactivité de nombre d’universités et d’entreprises françaises face aux opportunités qu’offrent les nouveaux enjeux que suscite une économie fondée sur la connaissance. Ce constat se traduit par une production stable de nouveaux docteurs sur 10 ans (environ 9 500 docteurs par an) et par la persistance d’une logique d’employabilité de ces jeunes docteurs vers des emplois d’enseignants-chercheurs ou de chercheurs dans la recherche publique ou privée.

Ces retards cumulatifs conduisent à la dégradation du rôle des universités mais aussi celui des jeunes docteurs dans la dynamique de croissance d’une économie fondée sur la connaissance. Par manque de réactivité de la part des universités mais aussi des pouvoirs publics, on assiste ainsi actuellement au délabrement de la situation professionnelle des jeunes docteurs qui se manifeste par un taux de chômage élevé et une insertion professionnelle difficile et marquée par une précarité inquiétante. En parallèle, beaucoup d’entreprises ont une faible conscience des atouts et compétences particulières des docteurs en rapport avec ces nouveaux métiers et les nouvelles exigences de l’économie fondée sur la connaissance.

Au niveau macro-économique, ce décalage confirme la séparation qui perdure entre la sphère scientifique et celle industrielle, ce qui renforce le décalage de la structure industrielle française de celle de ses voisins (notamment celle de l’Allemagne) et des pays dont l’attractivité et la compétitivité ne sont plus à démontrer. Ce gaspillage du potentiel de la recherche scientifique dû au décalage de la structure industrielle de l’économie française mais également de l’attitude encore souvent trop passive des universités face aux nouveaux besoins d’une économie fondée sur la connaissance, prive la France de réelles opportunités encourageant l’introduction plus massive d’innovations sur les marchés mondiaux et le renforcement de sa capacité à créer des nouvelles entreprises innovantes. Cette privation dont souffre la France doit interpeller les responsables politiques afin qu’ils mettent en place une politique de la recherche et de la technologie plus audacieuse envers les docteurs et autres scientifiques qui souhaitent créer leur entreprise à partir des résultats de leur recherche.

Face à cette inquiétante situation, l’action publique doit se présenter sous un nouveau principe qualifié de « commutation » où les réseaux d’acteurs publics et privés tendent à s’imposer. Ce principe, adopté dans les pays les plus compétitifs, se manifeste par de nouvelles organisations, toutes marquées par la coopération entre les différents acteurs Science / Industrie / Etat, en vue de produire et de diffuser de nouveaux savoirs et savoir-faire au travers d’apprentissages organisationnels et institutionnels collectifs. On assiste à une « construction cognitive » des politiques publiques qui conduit au renforcement des intermédiaires (experts scientifiques, technologiques, financiers, etc.) déjà présents sur le marché et à la création de nouveaux acteurs : les « Knowledge Brokers »1 et les « Knowledge Intensive Business Services » 2. Situés aux interfaces Science / Industrie / Etat, ces services ont pour fonction de créer, d’utiliser et de partager des savoirs et des savoir-faire multiples dans le but de faciliter les échanges entre ces trois mondes. Ils représentent également de nouveaux viviers d’emploi pour les jeunes docteurs dont les voies professionnelles traditionnellement orientées vers le secteur académique apparaissent de plus en plus compromises. Néanmoins, la survie de ces nouveaux services semble particulièrement dépendante des contextes dans lesquels ils émergent. L’absence d’un modèle de revenu clairement identifié et le manque d’une volonté affichée des pouvoirs publics français à continuer la reforme de son dispositif de recherche constituent de fortes menaces pour leur survie (notamment pour les KIBS). Leur mort serait dès lors perçue comme l’échec des politiques publiques qui cherchent a démontrer par l’expérience que, plus que jamais, la science et la technologie sont essentielles pour améliorer la performance économique et le bien être social.

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1) Le knowledge broker (KB) est une personne ou une organisation qui facilite la création, le partage et l’usage d’un savoir. Il exerce dans des organisations publiques ou privées. Il est présent à l’intérieur (knowledge management) ou a l’extérieur de l’entreprise classique (KIBS). Il poursuit un but économique, social, culturel ou politique, recherchant le profit pécuniaire ou travaillant de manière bénévole

2) Le knowledge Business Intensive Service (KIBS) est un service immatériel spécifique. C’est un knowledge broker qui recherche le profit et s’adresse essentiellement aux autres entreprises. Il y a KIBS lorsqu’il y a une proportion particulièrement forte de haute qualification, notamment scientifique. Les KIBS emploient une proportion importante de salaries hautement qualifies et scientifiques, de experts de toutes disciplines (sciences dures / juridiques, management, finance)


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